28

 

Crainte avait bien fait son travail. Sabin et Gwen avaient affronté sans encombre les formalités d’embarquement et on ne les avait pas fouillés. Le vol jusqu’aux États-Unis leur avait paru long. Gwen s’était recroquevillée contre Sabin pendant tout le voyage, mais il ne s’était pas autorisé à la caresser. Pas devant témoin, et pas tant qu’il ne lui aurait pas prouvé qu’elle pouvait croire en lui. Gagner son cœur et sa confiance était devenu la bataille la plus importante de son existence, et il ne voulait rien précipiter pour ne pas tout gâcher.

« Elle m’appartiendra. »

À l’aéroport de Chicago, Sabin avait failli se battre. Les mortels paraissaient subjugués par le couple qu’il formait avec Gwen. Ils admiraient probablement son imposante stature de soldat, mais, surtout, les hommes reluquaient Gwen avec un désir à peine dissimulé.

Et ça, il ne l’avait pas supporté. Il avait donc permis à Crainte de se glisser dans l’esprit de ces porcs pour y semer le doute à propos de leur apparence et de leurs prouesses au lit. Cela lui avait permis de se concentrer sur le but de leur voyage : retrouver leurs compagnons et les sauver. De toute façon, Gwen n’ayant pas remarqué l’intérêt que lui portaient ces imbéciles de mortels, il était inutile de provoquer un esclandre.

Ils s’étaient rendus dans la maison louée par leurs compagnons, un endroit isolé et loin de tout. Ils n’y étaient pas entrés, mais l’avaient discrètement surveillée, ce qui leur avait permis de s’apercevoir qu’elle était vide. Leurs compagnons n’y étaient pas et les chasseurs non plus. Dommage… Sabin avait hâte de les affronter. Il se sentait prêt à passer à l’action.

Ils avaient donc décidé de partir à leur recherche, en suivant les nouvelles indications de Torin. Ils s’étaient armés et avaient enfilé des casquettes à visière pour camoufler leurs cheveux et leurs visages. Puis ils s’étaient dirigés vers le quartier où étaient censés être retenus leurs compagnons. À présent, ils arpentaient un trottoir, face à une rangée de bâtiments identiques les uns aux autres. Ils cherchaient un numéro, mais, pour une raison qu’ils ne s’expliquaient pas, ils n’arrivaient pas à le trouver.

Gwen s’arrêta et se frotta la nuque.

— C’est à n’y rien comprendre. Nous sommes dans le bon quartier, dans la bonne rue, mais le numéro que nous cherchons n’existe pas. C’est incroyable. Comment est-ce possible ?

Il soupira. Il était peut-être temps de sortir l’artillerie lourde. À condition que le roi des dieux accepte de répondre, pour une fois.

— Cronos, murmura-t-il. Nous aurions besoin d’un petit coup de pouce. Vraiment, ce serait gentil de votre part. Vous voulez la peau de Galen, n’est-ce pas ?

Quelques minutes passèrent, mais il ne se produisit rien.

Il allait abandonner, quand Gwen poussa un cri étouffé.

— Sabin !

Sabin suivit son regard et ce qu’il vit lui causa un choc. Là, sur le toit d’un immeuble devant lequel ils étaient passés et repassés, à leur droite, se tenait le roi des dieux. Le bâtiment paraissait trembler sous ses pieds. Sa longue tunique lui battait les chevilles. Sabin fut surpris que Cronos daigne se manifester après l’avoir ignoré si longtemps.

— À présent, Crainte, tu as une dette envers moi. Et je réclame toujours le paiement de mes dettes.

Puis il disparut.

Sabin songea que Cronos avait intérêt à ce qu’ils remportent la victoire, et qu’il aurait pu, pour une fois, accorder une faveur sans demander quoi que ce soit en échange.

— Qui était-ce ? demanda Gwen. Comment a-t-il fait pour… ? Tu crois que Galen se trouve dans ce bâtiment ?

Sabin lui expliqua qu’il s’agissait de Cronos, roi des Titans, lequel avait des raisons de réclamer la tête de Galen.

— Il y a des chances pour que Galen soit là. Tu es sûre de vouloir poursuivre ?

— Oui.

Elle n’avait pas hésité, mais il y avait de l’angoisse dans sa voix.

Sabin se demanda s’il n’exigeait pas trop d’elle. Il n’avait pas eu d’enfance, et pas non plus de parents. Il n’avait jamais éprouvé d’amour filial pour ses créateurs, les dieux grecs. Il n’avait donc pas la moindre idée de ce que vivait Gwen en ce moment.

— Ça ira, assura-t-elle, comme si elle avait lu dans ses pensées. Après tout ce qu’il a fait, il mérite d’être puni.

Mais de nouveau, sa voix avait tremblé. Sabin décida que si Galen décidait de se joindre à la bataille, il aviserait. Mais il y avait peu de chances que cela se produise, car le salaud s’arrangeait toujours pour se tenir à l’abri et envoyer ses valets au feu. L’Espoir se plaçait au-dessus de tout et de tout le monde. Pourtant, on ne savait jamais… Sabin n’aurait pas voulu que Gwen s’oppose à son père et qu’elle le regrette ensuite, ou qu’elle lui reproche de l’avoir entraînée dans ce conflit. Son cœur se serra. Une fois de plus, il ne put s’empêcher de se poser la question qui le tourmentait : serait-elle capable de lui pardonner, s’il causait la défaite de son père ?

Il décida d’oublier le problème pour le moment et de se concentrer sur ce qui comptait : Gwen et ses compagnons. Dans cet ordre. Elle passait avant. Et c’était définitif.

— Allons-y, murmura-t-elle en avançant vers le bâtiment.

Il lui emboîta le pas.

— Avant d’entrer, je tiens à te dire que je t’aime. Je t’aime tant que c’en est douloureux. Je… Je voulais que tu le saches, au cas où les choses tourneraient mal.

— Elles ne tourneront pas mal, rétorqua-t-elle.

Elle trébucha et se reprit.

— Moi aussi, je t’aime, poursuivit-elle. Je ne peux plus le nier. Pourtant, je n’arrive pas encore à te faire pleinement confiance. J’ignore pourquoi… Je… Je ne sais pas. Crainte se fait tout petit devant moi et ça me plaît, mais… C’est juste que…

— Je comprends, coupa-t-il.

Elle l’aimait. Grâce en soit rendue aux dieux, elle l’aimait. Il la força à s’arrêter pour la prendre dans ses bras. Il détestait l’idée qu’elle doute encore de lui, mais il comprenait. C’était sa faute. Il aurait dû lui faire confiance et la faire passer avant tout. Depuis le début.

— Nous réglerons tout ça plus tard, je te le promets, dit-il. Pour le moment, tu ne dois plus y penser. La moindre distraction pourrait…

— … me mettre en danger, acheva-t-elle à sa place en souriant. J’ai retenu tes leçons.

Elle passa ses bras autour de sa taille d’un geste langoureux et posa sa tête au creux de son cou. Ses doux cheveux le chatouillaient un peu.

— Tu feras attention à toi, supplia-t-elle.

— Toi aussi fais attention à toi. Et tout à l’heure, quoi qu’il arrive, sauve ta peau.

Il s’écarta d’elle pour la regarder droit dans les yeux.

— C’est bien compris ? insista-t-il d’un ton fiévreux. Parce que sans toi, je serais perdu.

— Je ferai attention, tu peux en être sûr, répondit-elle avec un sourire attristé et amusé à la fois. Ça fait partie des règles de conduite des harpies, vois-tu.

Il déposa un baiser sur son crâne. Elle leva les yeux vers lui pour le remercier. À la vue de ses lèvres rouges et pleines, il ne put résister, et alla à la rencontre de cette bouche qu’il fouilla d’une langue exigeante et possessive. Elle lui rendit son baiser.

Qu’il était bien dans ses bras ! Il n’avait besoin de rien d’autre. Il aurait pu rester là pour l’éternité. Mais il parvint à la repousser.

— Viens, dit-il. J’ai hâte d’en finir et de me retrouver seul avec toi. Tu passes par devant, et moi par-derrière. On se retrouve au centre du bâtiment.

Il l’embrassa une dernière fois, furtivement, puis se remit en route. Le soleil trop brillant l’éblouissait et il garda la tête basse, autant pour s’en protéger que pour éviter d’être reconnu si des caméras gardaient l’entrée.

— Tu es sûr que tu peux ?

— Oui.

— Et si tu échouais ?

— Je n’échouerai pas.

— Et si Gwen était blessée ?

— Elle ne le sera pas.

Il y veillerait.

— Accélère un peu, espèce de lambin.

Une légère brise caressa son visage quand Gwen le dépassa en battant des ailes, à une vitesse qu’il n’aurait pas rêvé d’égaler. Il essaya tout de même de la suivre et se mit à courir vers l’arrière du bâtiment pour éviter qu’elle se retrouve seule à l’intérieur. Mais devant la porte, il trouva une barrière munie de piques et protégée par un système électrifié.

Il ne pouvait malheureusement pas se payer le luxe de perdre du temps à débrancher le système ou à cisailler les fils. Il se contenta donc d’escalader comme si de rien n’était. Il reçut une série de décharges qui auraient tué un humain. La douleur fut terrible et son cœur s’arrêta deux fois de battre, mais il continua à grimper, sans se préoccuper des vibrations qui le secouaient par intermittences, jusqu’au moment où il put se laisser retomber de l’autre côté. Ses bottes atterrirent avec un bruit sourd sur le sol en béton. Il se mit aussitôt à courir, en sortant ses revolvers.

Il ne tarda pas à trouver ses premières proies, trois chasseurs tranquillement installés autour d’une table, à l’ombre d’un parasol. Ils n’avaient donc pas senti trembler le bâtiment quand Cronos s’y était posé ? Tant pis pour eux. Enfin, la fête pouvait commencer.

— Il était mort de trouille, ricana l’un d’eux.

— Tu aurais dû voir sa grimace quand j’ai glissé les aiguilles sous ses ongles, dit un deuxième. Et quand je lui ai coupé les mains…

Il ne put poursuivre tant il s’étranglait de rire.

— J’espère qu’il va continuer à refuser de parler. Je ne me suis jamais autant amusé de ma vie.

— C’est un démon. Il n’a que ce qu’il mérite.

Le cœur de Sabin se serra. De qui parlaient-ils ? De son côté, Crainte commençait à s’impatienter.

— Je veux m’en occuper.

— Je t’en prie.

Crainte se glissa aussitôt dans l’esprit des chasseurs.

— Les autres Seigneurs de l’Ombre seront furieux et ils vont vous le faire payer. Tout ce que vous avez fait à leur compagnon vous sera rendu au centuple, n’en doutez pas.

L’un des hommes frissonna.

— Quand ceux de Budapest seront guéris de leurs blessures, ils vont sûrement venir au secours des autres. Nous devrions peut-être… Je ne sais pas… Nous préparer à partir…

— Je ne suis pas un lâche. Je reste ici. J’irai jusqu’au bout pour soutirer au prisonnier les informations dont nous avons besoin.

— Au risque de te faire étriper comme un poisson.

— Euh… je… Finalement… Mon bipeur vient de vibrer. Une alarme s’est déclenchée quelque part dans le bâtiment. Quelqu’un s’est échappé. Ou bien on nous attaque.

Ils se levèrent d’un bond tous les trois. Aucun d’eux n’avait encore remarqué Sabin. Il vérifia les silencieux de ses pistolets, puis leurs chargeurs. Dans d’autres circonstances, il se serait montré pour narguer ces hommes et savourer le plaisir de leur annoncer leur mort prochaine, mais le moment n’était pas aux enfantillages et il se contenta de leur loger une balle à l’arrière du crâne. Ils tombèrent en avant, et ce qui leur restait de front heurta le plateau de la table avec un bruit sourd.

Sabin reprit sa progression vers l’entrée et tourna au coin du bâtiment. Un groupe d’enfants pataugeait dans une piscine. L’un des garçons avait levé un bras en l’air et l’eau coulait par-dessus sa main, comme un arc-en-ciel.

— Essaye de m’arroser, dit l’une des filles. Je voudrais savoir si mon bouclier magique arrête l’eau.

Le garçon éclata de rire et envoya un jet en direction de la fille. Pas une goutte ne l’atteignit.

Sabin s’était douté qu’il trouverait ici les demi-mortels, mais les voir lui causa un choc. En dépit de leurs pouvoirs, ils n’étaient que des enfants. Il fut outré à l’idée que les chasseurs osent les mettre en avant dans un affrontement aussi dangereux.

Il changea l’un de ses semi-automatiques pour un revolver tirant des tranquillisants. Gwen était déjà à l’intérieur, et il n’avait pas de temps à perdre. Il visa donc les enfants sans hésiter, pour les endormir. Après quoi, il les sortit de l’eau et les déposa à l’ombre.

Plus rien, maintenant, ne l’empêchait de pénétrer dans la maison. Gwen avait besoin de son aide.

— Espèce de bête immonde, fit une voix. Qu’est-ce que tu as fait ?

Sabin se retourna d’un bond, mais une balle l’atteignit à l’épaule. Tout en grimaçant, il riposta en envoyant une salve de son Sig. Il toucha l’homme à la poitrine et au cou. Celui-ci s’effondra en gémissant, puis il se tut quand son crâne heurta le sol en émettant un craquement.

Indifférent à la douleur, Sabin courut à l’intérieur, tout en remettant le revolver à tranquillisants dans son étui, pour reprendre en main un second semi-automatique. Il trouva plusieurs chasseurs étendus au sol, morts. Gwen était passée par là. Son cœur se gonfla de fierté. Sur un champ de bataille, elle était admirable.

Pour la rejoindre, il suffisait de suivre les cadavres qu’elle avait semés. Ce qu’il fit. Il remarqua au passage des salles transformées en dortoirs et équipées de lits superposés. D’autres, réservées au cours, étaient meublées de tables et de chaises. Partout, on voyait des affiches de démons torturés et des slogans. « Un monde idéal est un monde sans démons. Quand le monde sera débarrassé des démons, il n’y aura plus ni mort ni maladie. »

Bon sang… Non seulement ces gamins étaient élevés dans la haine des Seigneurs de l’Ombre, mais on leur avait fait subir un véritable lavage de cerveau. Sabin avait beau être un démon, il ne s’en était jamais pris à un enfant. Il fut révolté.

— Salaud ! cria la voix de Gwen.

Puis un hurlement de douleur résonna dans le couloir.

Sabin accéléra l’allure, en direction du bruit. Au bout de quelques mètres, il aperçut un homme courbé en deux qui se tenait le bas-ventre à deux mains. Il le visa et tira.

Gwen fit volte-face en montrant les dents. Ses petites ailes battaient fébrilement sous son chemisier. Son regard changea quand elle reconnut Sabin.

— Merci, dit-elle.

— Je t’en prie.

— J’ai trouvé tes amis. Ils sont blessés, mais en vie. Je les ai relâchés. Mais il en manque deux. Gideon et Anya.

Elle les avait déjà trouvés et relâchés ? Seule ? Elle était encore plus rapide et efficace qu’il ne l’avait imaginé. Et où étaient donc passés les deux qui manquaient à l’appel ?

— Anya ? hurla-t-il. Gideon ?

— Sabin ? C’est toi, Sabin ?

La voix d’Anya. Elle n’était pas très loin. Au bout du couloir, vraisemblablement.

— Il était temps, cria Anya. Je suis là. Avec un chien de garde.

Sabin se tourna vers Gwen juste au moment où trois hommes arrivaient vers eux en courant, une expression féroce sur le visage.

— Tu t’en occupes ? demanda-t-il.

— Vas-y, répondit-elle en faisant face aux assaillants. Va chercher Anya.

Il repartit, toujours ventre à terre. Gwen était le meilleur de ses soldats et il n’avait aucune crainte. Aucune crainte. La formule le fit sourire.

Tout en courant, il changea l’un de ses pistolets pour un poignard. Il n’avait presque plus de munitions. Un poignard, au moins, ça ne se rechargeait pas. « Où es-tu, Anya ? » Il entra dans une pièce. Vide. Il poussa une autre porte d’un coup d’épaule. Les gonds grincèrent. Pas d’Anya. Il la chercha encore dans trois salles avant de tomber sur la bonne. Elle était là, face à un petit garçon. Ses épaules saignaient abondamment.

Le garçon se tourna vers lui en l’entendant entrer, avec une expression déterminée. Il paraissait… étrangement absent. Comme s’il n’était pas tout à fait là physiquement.

— Sabin !

Anya tenta de courir vers lui, mais le garçon allongea le bras pour lui barrer le passage.

— Je dois l’empêcher de sortir, dit-il.

Mais la mission n’avait pas l’air de le ravir.

Sabin rangea lentement son poignard et referma les doigts sur la crosse du revolver tranquillisant attaché dans son dos.

— Ne le touche surtout pas, avertit Anya. Et ne le laisse pas te toucher. Tu serais à terre avant de comprendre ce qui t’arrive.

— Anya !

Sabin avait reconnu la voix de Lucien, aussi ne se retourna-t-il pas en entendant des pas derrière lui. Il continua à fixer le jeune garçon, prêt à lui sauter dessus – et tant pis pour les conseils d’Anya – si celui-ci tentait quoi que ce soit contre la déesse.

— Lucien ! hurla Anya. N’approche pas ! Dis-moi seulement que tu n’as rien. Je veux être sûre que tu vas bien.

— Je vais bien. Et toi ? Par tous les dieux !

Lucien venait d’entrer. Sabin sentait les vagues de colère qui émanaient de lui.

— Tes épaules, gémit-il.

— Ce n’est rien, assura Anya avec un ton plein de haine contenue qui en disait long sur son désir de vengeance. Quelques égratignures.

Sabin passa discrètement le revolver tranquillisant à Lucien qui se trouvait toujours derrière lui, sans même se retourner.

— Essaye de l’endormir avec ça, dit-il. Je pars à la recherche de Gideon.

Lucien saisit l’arme sans un mot et Sabin sortit.

Il reprit sa course dans le couloir, passant en revue les salles qui se succédaient. Il trouva plusieurs cellules capitonnées, une pièce équipée d’ordinateurs, une autre contenant suffisamment de conserves pour nourrir un homme pendant toute une vie. Il emprunta un second couloir, sans cesser d’appeler Gideon. Cette fois, les salles étaient munies de grosses serrures et de détecteurs d’empreintes électroniques qui en commandaient l’ouverture. Il continua à avancer en collant son oreille aux battants. Et, enfin, il entendit un gémissement.

Gideon.

Il se servit d’une lame pour faire levier entre le battant et le chambranle. Ses muscles étaient tétanisés, la traction exercée sur ses os était telle qu’il faillit se démettre les doigts, ses blessures se rouvrirent, mais il parvint à déformer suffisamment le métal de la porte blindée pour se faufiler à l’intérieur. La première chose qu’il aperçut, ce fut une forme recroquevillée et couverte de sang sur un lit de camp – image qui avait malheureusement un goût de déjà-vu.

Il s’approcha, le cœur au bord des lèvres. Les yeux de Gideon étaient tellement enflés qu’on avait l’impression que quelqu’un avait glissé des pierres entre ses globes oculaires et ses paupières. Son corps nu était couvert d’ecchymoses. Ses os brisés pointaient par endroits à travers sa peau.

Et ces salauds lui avaient coupé les deux mains.

— Elles repousseront, ne t’en fais pas, elles repousseront, murmura-t-il tout en essayant de le détacher.

Mais les liens de Gideon étaient tissés d’un métal souple et tellement résistant – encore un enchantement ou une trouvaille des dieux – qu’il ne put les entamer avec son poignard.

— Les clés, bredouilla Gideon. Par là.

La voix de Gideon n’était plus qu’un faible murmure, mais il eut tout de même la force de désigner un placard du menton.

Oui, il y avait bien une clé.

— Ils ne les ont pas accrochées là pour me narguer, poursuivit Gideon.

— Ménage ton souffle, mon ami, dit Sabin.

Il s’efforçait de paraître calme, mais à l’intérieur, il se sentait consumé par la rage et la haine. Ces salauds allaient payer pour ça. Ils allaient tous payer. Et avec les intérêts.

Après avoir libéré Gideon, Sabin le prit délicatement dans ses bras et le porta dans le couloir. Strider avançait en titubant dans sa direction. Il était pâle. En apercevant ce qu’il restait de Gideon, il poussa un cri sauvage.

— Est-ce que… ?

— Il est vivant, répondit aussitôt Sabin. Il va s’en remettre.

— Lucien a libéré Anya en endormant le gamin avec ton arme, annonça Strider. Reyes se bat quelque part dans le bâtiment. Stefano a ordonné à ses hommes de se replier et… Tu ne devineras jamais qui est là.

Pour l’instant, Sabin s’en moquait, il avait une autre préoccupation.

— Tu as vu Gwen ? demanda-t-il à Strider.

— Oui. Elle est au bout de ce couloir, sur la droite, répondit Strider. Va la retrouver, je m’occupe de Gideon.

Sabin lui tendit aussitôt Gideon.

— Il est arrivé quelque chose à Gwen ?

— Va voir.

Il se mit à courir à perdre haleine.

Gwen se trouvait exactement à l’endroit où il l’avait quittée quelques minutes plus tôt, mais elle ne combattait plus des chasseurs. Son adversaire, c’était Galen. Et il avait le dessus.

« Tu ne devineras jamais qui est là », avait dit Strider.

Ce salaud s’était donc décidé à entrer dans la bataille et à manifester un peu de courage. Gwen paraissait à bout de souffle, elle était en sang, elle titubait à chaque pas, comme si ses jambes ne pouvaient plus la supporter. Galen la malmenait avec un long fouet qui ressemblait à un serpent. En fait de ressembler… C’était un serpent ! Un serpent qui sifflait méchamment et dont les crocs luisants suintaient le venin. Et chaque fois que Gwen parvenait à lui couper la tête, une autre repoussait à la place.

— Le grand Sabin, Seigneur de l’Ombre, envoie une femme se battre à sa place, ironisa Galen. Et dire que c’est moi qu’on traite de lâche !

— Je ne suis pas n’importe quelle femme, cracha Gwen. Je suis une harpie.

— Et qu’est-ce que ça change ?

— Je suis à moitié démon. Tu ne me reconnais donc pas ?

Elle s’approcha, en dépit du serpent qui lui mordait le cuir chevelu, et tenta de frapper Galen au niveau du cœur.

— Je devrais ? ironisa Galen. Nous avons fricoté ensemble ? Pour moi, tu sais, toutes les femmes se ressemblent. Ce sont toutes des putes.

Il esquiva habilement le coup et éleva le bras pour arracher le serpent du crâne de Gwen, qui hurla de douleur. Puis il le lança de nouveau, de manière à ce qu’il s’enroule autour de son poignet et tira d’un coup sec. Elle poussa un cri et tomba à genoux, le corps secoué de spasmes.

Sabin ne pouvait plus rester les bras ballants, à regarder ce chien détruire Gwen. Et tant pis si elle lui en voulait d’être intervenu.

— Laisse-la tranquille, grogna-t-il. C’est moi que tu veux.

Tout en grinçant des dents de rage, il envoya ses poignards. L’un d’eux sectionna net le fouet-serpent, qui lâcha le poignet de Gwen, un autre atteignit Galen au ventre. Celui-ci gémit et s’écroula, tandis que Gwen se relevait d’un bond.

Sabin s’interposa aussitôt entre elle et Galen.

— Es-tu prêt à admettre ta défaite ? ricana-t-il.

Tout en geignant, Galen retira le poignard planté dans son ventre.

— Tu crois vraiment que tu es de taille à me battre ? riposta-t-il.

— Je t’ai déjà battu. Nous t’avons battu. Nous avons décimé ta vaillante armée.

Il prit son Sig en main, en arborant un grand sourire victorieux.

— Tout ce qu’il nous reste à faire, c’est de te capturer. Et je crois que c’est en bonne voie.

— Arrête Sabin, intervint Gwen. Arrête.

Elle vint se placer devant lui. Elle tenait à peine sur ses jambes, mais se redressa pour regarder Galen droit dans les yeux.

— Avant qu’il s’occupe de toi, je veux que tu entendes ce que j’ai à te dire, lança-t-elle à Galen. Toute ma vie j’ai attendu ce jour, attendu de pouvoir t’annoncer que j’étais la fille de Tabitha Skyhawk. J’ai vingt-sept ans et j’ai toujours cru que mon père était un ange.

Galen se releva lentement, en ricanant et en grimaçant de douleur tout à la fois. À présent, il saignait abondamment.

— Et que suis-je censé en déduire ?

— À toi de me le dire, rétorqua Gwen. Il y a environ vingt-huit ans, tu as rencontré dans une grotte une harpie blessée, une rousse aux yeux noirs, que tu as soignée. Tu as aussi copulé avec elle, et ensuite tu es parti en lui promettant de revenir la chercher.

Galen ne souriait plus.

— Et ? demanda-t-il d’un ton détaché.

Même s’il jouait les indifférents, elle remarqua qu’il ne se battait plus et ne tentait pas non plus de s’enfuir. Il attendait la suite de son histoire…

Elle se mit à trembler de tout son corps.

— Et ? répéta-t-elle d’un ton ironique. Il se trouve que parfois le passé vous rattrape. Aussi, me voilà. Surprise !

Elle ouvrit les bras.

— Je te présente ta fille chérie qui t’a tellement manqué !

— Non…, protesta Galen en secouant la tête.

Cette fois, il n’avait plus l’air de s’amuser.

— Tu mens. Si j’avais eu une fille, je l’aurais su.

— Et comment ? Tu penses que ma mère t’aurait envoyé un faire-part de naissance ?

À présent, c’était elle qui riait. Mais d’un rire sombre et lugubre.

— Non, répéta-t-il. C’est impossible. Je n’ai pas d’enfants.

Derrière eux, la bataille touchait à sa fin. Ils n’entendaient plus de cris, plus de gémissements, plus de coups de feu, plus de bruits de pas précipités. Puis, brusquement, les Seigneurs de l’Ombre entrèrent dans la pièce, le visage affichant une expression de haine et de colère. Ils étaient couverts de sang. Strider portait Gideon dans ses bras.

— Eh bien…, grommela Lucien. Regardez un peu qui nous avons là.

— Tu n’es plus si fier, sans ton bouclier de onze ans, ricana Anya.

— Ce soir, je mangerai ton cœur, grogna Reyes.

Sabin comprit que ses compagnons réclamaient vengeance. Malheureusement, ce n’était pas à eux de décider. Ni à lui.

— N’avancez pas, leur dit-il. Galen ne vous appartient pas. Gwen ?

Sabin lui demandait de décider s’il fallait capturer Galen ou le laisser partir. Gwen fut touchée de cette incroyable preuve d’amour. Elle aurait bien voulu prendre la décision qu’il attendait, celle qu’il méritait, mais ce n’était pas si simple.

— Je… Je ne sais pas, murmura-t-elle d’une voix brisée.

Quand elle plongeait dans ces yeux couleur d’azur dont elle avait tant de fois rêvé, elle ne savait plus qu’une chose : son père, ce père qu’elle avait tant attendu enfant, ce père dont elle avait espéré qu’il viendrait la sauver des griffes des chasseurs, ce père était là, devant elle.

Jusqu’à aujourd’hui, il n’avait rien su de son existence. Mais maintenant… Maintenant qu’il la connaissait, allait-il l’aimer, lui proposer de vivre avec lui ?

Galen jeta un regard en coin du côté des guerriers, qui le fixaient toujours d’un air menaçant.

— Je crois qu’il faudrait que nous parlions, toi et moi, dit-il à Gwen en faisant un pas vers elle.

Sabin montra les dents, comme une bête qui se prépare à attaquer.

— Nous te laisserons partir si elle le demande, déclara-t-il. Mais je t’interdis de poser la main sur elle.

Ce fut un concert de protestations. Les Seigneurs de l’Ombre n’étaient pas d’accord. Pourquoi offrir la liberté à leur pire ennemi ?

— Mon enfant ne peut pas combattre du côté des démons, dit Galen en tendant le bras vers Gwen. Viens avec moi. J’ai envie de te connaître, d’apprendre à te découvrir.

Elle se demanda s’il était sincère, s’il avait vraiment envie de tisser des liens avec elle, s’il voyait uniquement en elle une arme redoutable qu’il pourrait utiliser contre ses ennemis. Elle ne pouvait s’empêcher de douter, et ce doute lui faisait mal… Elle referma ses doigts sur le canon du pistolet de Sabin et visa la tête de Galen.

— Peu importe, dit-elle. Je ne te suivrai nulle part.

Sabin haïssait cet homme. Il avait ses raisons. Elle lui faisait confiance.

— Tu ne tuerais tout de même pas ton propre père ? murmura Galen, la main sur le cœur.

Gwen l’imagina soudain en train de la serrer dans ses bras, lui susurrant à l’oreille combien il tenait à elle, combien elle lui avait manqué. Son cœur se gonflait d’un espoir qui se déversait dans tout son être. Elle se demanda si c’était l’œuvre du démon de Galen.

— Tout à l’heure, tu affirmais tranquillement que tu n’avais pas d’enfant, fit-elle remarquer d’un ton amer.

— J’étais sous le choc ! Il me fallait tout de même le temps de digérer la nouvelle. Ce n’est pas tous les jours qu’un homme apprend qu’il a une adorable fille de vingt-sept ans.

La main de Gwen trembla.

— Je me souviens maintenant de Tabitha, ta mère, reprit Galen. Jamais il ne m’avait été donné de contempler une aussi belle créature. Dès que je l’ai vue, j’ai eu envie d’en faire ma compagne, mais elle est partie et je ne l’ai plus jamais retrouvée. Si j’avais su que tu existais, je t’aurais fait une place dans ma vie.

Elle hésitait encore à le croire, mais elle laissa tout de même retomber son bras.

Il y avait peut-être du bon en lui. On pouvait sans doute encore le sauver.

Pourtant… Sabin…

— Va-t-en, dit-elle.

Il fit mine d’avancer vers elle.

— Va-t-en, répéta-t-elle tandis qu’une grosse larme tiède roulait sur sa joue.

— Ma fille…

— Va-t-en ! Je reste auprès de Sabin.

Il déploya soudain ses ailes qui battirent en créant autour de lui un vent violent. Puis il décolla en direction du plafond qu’il creva pour disparaître.

Sa disparition déclencha la fureur des Seigneurs de l’Ombre, qui se précipitèrent pour tirer à sa suite une pluie de balles et de poignards. Ils durent le toucher, parce qu’ils entendirent un hurlement. Mais il ne retomba pas. Gwen se sentit immensément soulagée et coupable de l’être.

Il y eut tout à coup dans la pièce un brouhaha de halètements, de jurons, de pas furieux.

— Il nous a encore échappé, gronda Strider en déposant Gideon. Pourquoi lui as-tu laissé faire ça, Sabin ?

Puis il s’effondra près de Gideon en gémissant de douleur.

La fuite de Galen signifiait pour lui une défaite, et son démon le punissait pour avoir failli. Gwen se sentit coupable.

Coupable et honteuse aussi, parce qu’elle venait de donner raison à Sabin : elle était incapable d’affronter leur pire ennemi…

— Je suis désolé, répondit Sabin à ses compagnons.

Gwen se jura de trouver un moyen de se faire pardonner, de se rattraper. Elle se tourna vers lui, pour s’excuser, mais en le voyant, elle poussa un cri affolé.

— Tu es en sang !

— Ne t’inquiète pas, je guérirai. Et toi ? Comment est-ce que tu t’en sors ?

Il la balaya du regard pour évaluer la gravité de ses blessures. Un muscle tressauta sous son œil.

— J’aurais dû le tuer, gémit-il. Il ne t’a pas épargnée.

— Ne t’inquiète pas, je guérirai, reprit-elle sur le même ton que lui, tout en se jetant dans ses bras. Je… Je ne sais pas ce qui m’a pris. Je regrette de l’avoir laissé partir. Pourras-tu me pardonner un jour ?

Il poussa un grognement et déposa un baiser sur son crâne.

— Je t’aime. Tu es déjà pardonnée.

— J’ai tout gâché. Vous teniez votre pire ennemi et…

— Non. Je ne veux pas que tu endosses la responsabilité de ce qui s’est passé. Le seul coupable, c’est moi. C’est moi qui t’ai emmenée ici alors que je savais que tu y trouverais peut-être ton père. Je t’ai demandé l’impossible.

Il la prit par le menton.

— Dis-moi plutôt ce que je veux entendre. Ce que j’ai besoin d’entendre.

— Je t’aime, murmura-t-elle.

Il ferma les yeux, tandis qu’un intense soulagement se peignait sur son visage.

— Alors, on reste ensemble, dit-il enfin.

— Oui. Si tu veux de moi.

— Comment ça, si je veux de toi ? Je t’ai déjà dit que tu comptais plus que tout.

Elle leva lentement vers lui ses beaux yeux ourlés de longs cils et cessa de retenir ses larmes.

— Tu as renoncé à la victoire. Pour moi. Je n’arrive toujours pas à y croire.

— Je renoncerais à tout, pour toi, s’il le fallait.

— Tu m’aimes… Tu es sincère… Tu ne laisserais pas cette guerre nous séparer, n’est-ce pas ?

— C’est ça qui t’inquiète ?

Il ne put s’empêcher de rire.

— Tu aurais dû me poser la question plus tôt, ça t’aurait évité de te faire du souci pour rien.

— Je ne t’aurais pas cru, de toute façon… J’étais tellement persuadée que ta quête passait avant tout !

— Tu te trompais. J’ai changé. C’est toi qui passes avant tout.

Elle lui adressa un sourire radieux. Mais ce sourire s’effaça quand elle prit conscience du murmure mécontent qui les enveloppait. Les Seigneurs de l’Ombre n’étaient pas attendris par leurs roucoulades, et ils n’acceptaient pas d’avoir laissé s’enfuir leur ennemi de toujours.

— Si vous saviez comme je regrette, murmura-t-elle. Je sais qu’il faut arrêter Galen, l’empêcher de nuire. Mais sur le moment… je n’ai pas pu m’empêcher d’espérer que… Et à présent, il va continuer à vous persécuter.

— Ça va, ce n’est pas si grave que ça, assura Sabin. Nous avons sérieusement handicapé son armée.

— Il a tout de même trouvé Méfiance, intervint Anya. Et il tente de le faire entrer dans un corps, pour créer un immortel dont il aura totalement le contrôle.

Méfiance, le démon qui avait autrefois habité le meilleur ami de Sabin. La manœuvre était subtile. Gwen se demanda si Sabin aurait le courage de s’attaquer un être qui lui rappellerait un peu son ancien compagnon. Elle n’aurait pas voulu qu’il se trouve devant le même dilemme qu’elle…

Sabin caressa tendrement ses cheveux humides.

— Je ne sais pas comment je réagirais si je me trouvais face à Méfiance, dit-il comme s’il avait lu dans ses pensées. Mais je comprends à quel point il est difficile pour toi de choisir entre moi et ton père. Si le prix de ton bonheur est la liberté de ce salaud, il restera en liberté.

— Hé ! protesta Strider. Je ne suis pas d’accord.

— Nous avons aussi notre mot à dire, grommela Reyes tout en se mettant à fouiller les poches des chasseurs morts.

Gwen soupira.

— Je finirai par accepter que vous l’enfermiez. Je vous le promets. Je ne l’avais jamais rencontré, j’étais sous le choc. J’espérais que… Mais n’ayez aucune crainte, je ferai mieux la prochaine fois.

— On verra, murmura Sabin d’un ton peu convaincu. N’ayez aucune crainte, c’est plus facile à dire qu’à faire. Surtout pour moi. Tu sais bien que la crainte, c’est ma spécialité.

— Ta spécialité, c’est de m’aimer, rétorqua-t-elle.

— C’est vrai…, avoua-t-il.

— Rentrons au château, proposa-t-elle en venant se pelotonner contre lui. Nous avons tant à faire… Nous occuper des enfants et continuer à chercher les objets de pouvoir, tuer des chasseurs, étudier les listes de Cronos, retrouver et détruire la boîte de Pandore. De plus, après toutes ces émotions, j’ai grand besoin d’être réconfortée, si tu vois ce que je veux dire…

Le piège des ténèbres
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